Julien Gracq pour la rentrée
La forme d’une œuvre, c’est une exposition épatante consacrée à Julien Gracq par la Bibliothèque nationale de France (site Tolbiac, jusqu’au 3 septembre). L’ermite de Saint-Florent-le-Vieil (1910-2007) qui n’aimait pas « faire visiter les cuisines aux invités » a légué un fonds de quinze mille feuillets à la BnF. On admire moult manuscrits, l’écriture appliquée du bon élève (professeur, normalien, agrégé) des photographies, témoignages. Dernières volontés obligent, il faudra attendre 2027 pour connaitre les secrets de trente cahiers inédits de notules. A l’écart de l’esbrouffe, du nombrilisme, droit à la morale, pipeau pour tous, Gracq et sa somptueuse prose poétique nous enchantent. « Les arbres aux profondes racines sont ceux qui montent haut » (Mistral).
La forme d’une œuvre
Il y a 70 ans, La Littérature à l’estomac, plus tard Lettrines, Préférences dénonçaient la comédie des prix littéraires, les démons de la théorie et enrôlements, la littérature engagée, les cuistreries de l’Université, « l’avant-garde imposée par les pions ». Gracq a refusé le prix Goncourt en 1951 et n’a jamais admis pour son art que trois impératifs : la liberté, la qualité, l’intégrité. « L’art tout comme l’économie, n’a jamais voulu se plier aux exigences des idéologues ».
Les leçons de maintien et labeur ont été oubliées. 321 nouveaux romans français pour la rentrée littéraire 2023. Des hectolitres de soupes claires, exhibitionnistes indignés, nuées de criquets pèlerins révoltés, légions de narcisses mythomanes, bavards, perclus, perdus dans les réseaux sociaux et l’auto-friction : un océan de médiocrité, quelques écrivains, peut-être. « La littérature est une affaire sérieuse pour un pays ; elle est au bout du compte son visage » (Aragon).
Les éblouissements, le style, l’imaginaire, la liberté, le sombre plaisir d’un cœur mélancolique, importent peu aux mauvais maîtres qui frappent la fausse monnaie de l’évolution des savoirs et du langage, aux vengeuses de races, ennemies de la belle phrase, qui font parler les orphelins et esprits enfantins. Le style, l’imaginaire, la liberté, irradient Au Château d’Argol, Le Rivage des Syrtes, Un Beau ténébreux, Un Balcon en forêt, « imprécis d’histoire et de géographie à l’usage des civilisations rêveuses » (Blondin).
Les programmes scolaires ignorent Julien Gracq. La jeunesse – ardente, pâle, nerveuse – est coupée du dernier des classiques, de la chambre des cartes de l’Amirauté d’Orsenna, d’héroïnes mystérieuses, envoutantes, Heide, Vanessa, Mona. La France sans sa langue, sa littérature, son histoire, ce n’est plus la France, ce n’est plus grand-chose.
Transmission : le virage du cirque ?
Le mammouth vient de changer de cornac. Gabriel Attal, Rastignac noir de la République, a-t-il entendu parler de Julien Gracq ? L’éducation est une priorité du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Sans remonter à Chaptal ou Cuvier, c’était déjà le cas pour Edgar Faure, René Haby, François Bayrou, Lionel Jospin, Najat Vallaud-Belkacem, Jean-Michel Blanquer, 25 ministres rue de Grenelle depuis 1968. Au fil des ans, des émancipations, des ateliers pédago-croc-vacances, du latin sans déclinaisons, Grand oral de l’École des fans, les reculades s’enchaînent, de mal en Pisa. Plus on s’angoisse moins ça va mieux. « Le plus grand dérèglement de l’esprit c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet » (Bossuet).
Pas d’angoisse. L’Éducation nationale forte de 1.200.000 serviteurs, cent mille milliards de promesses et slogans inspirants « porte l’ambition de bâtir une École de la réussite de tous les élèves, qui réduit les inégalités et prépare l’avenir de notre pays » … C’est le premier budget de l’Etat, en croissance de 6,5 % en 2023, 60 milliards d’euros. C’est aussi la 2 CV de Bourvil au début du Corniaud… « Bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien, forcément » … « Qu’est-ce qu’il y a ? » …
Peu importe les programmes, les politiques, les ministres ; l’école, le lycée, l’université, peinent à instruire et transmettre. Einstein disait que la folie c’est de faire encore et toujours la même chose et d’attendre des résultats différents. La digitalisation du monde, ChatGPT, Farghestan sournois, ne vont pas nous sortir de l’ornière… Qui vive ?
« – Tout le monde ne peut pas être artiste – Tu as raison, cela ferait de l’encombrement » (Anouilh).